J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 24 août 2018

Éléphantesque


 20 décembre, cette heure où, si on est de maladie, on la sent nous tomber sur le paletot. Il faut tordre l’autre moitié de la journée, y aller en traître, se raconter l’histoire avec ruse, ça commence maintenant et bonjour la deuxième journée, la chose à faire c’est retirer les lunettes, elles vous glissent sur le nez, sont cause qu’entre le monde et vous il y a cette casse, fracture, 20 décembre, cette idée qu’a eue le soleil de percer comme au printemps, la seule chose à faire c’est retirer les lunettes pour effacer les arêtes des choses, la poussière sur les choses et tout ça, les miettes, le dépôt, les veines du bois, l’impossible équilibre des étagères, la liasse des courriers non ouverts, les factures et les rappels et les publicités papier glacé, tout ça.
 17:00. C'était l'heure de la prise de risques, celle de la bascule, on était à une demi-journée du soir et le soir menaçait, la nuit, je dirais la nuit. 
 Trois fois j'ai pris le téléphone. Il était muet, petit plateau noir qui ne vous sert rien sauf l'heure. Sans lunettes j'ai balayé le devant de la porte, les grandes feuilles du yucca éléphantesque tombées sur l'escalier, tout me déplaisait, leur couleur d'hiver, les escaliers, mes gestes maladroits et l'heure - qui suivait l'heure.
 On a beau se dire quelle chance, ce temps ouvert; et cette désespérance le luxe.
 La peur bleue de voir venir le soir et ce qu'il fera aux muscles, vertèbres, poumons. Cœur qu'on entend trop puis trop peu. Tintamarre. 20 décembre, le chagrin, ça y est , lunettes ou pas, est installé.

Marie Cosnay " Éléphantesque" ( Cheyne 2018)

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