Le Village. Deux routes perpendiculaires se coupent en son centre, quatre rues, un centre, leurs perspectives vers les points cardinaux. Plan de ton enfance.
L’est apporte le froid, le matin le soleil, avec sa lumière blanche, dépose le givre sur la pelouse et, l’hiver, la neige. L’est amène ta famille car là-bas, qui borne l’horizon, il y a la nationale bordée de ses platanes et ils arrivent tous de là, en voiture. L’est apporte la nuit, le noir teinte d’abord l’est. Tout ça : évidences, clichés, qui semblent faire marcher le monde, et c’est bien là que tu vis, et les clichés sont ton seul bagage de sens. L’est apporte l’éveil lent et fondu qu’a le mouvement des branches dans tes rêves végétaux. Mais l’est, c’est d’abord la pelouse de la cour, verte, puis la rue, grise, et le champ, variable, et le gel, gris pâle, et la neige, blanche, et quoi plus loin, de plus en plus blanc, jusqu’à l’infini ? Une frontière, sans doute infranchissable pour toi, car au-delà de la ligne de bitume et de platanes : rien. D’autres champs, tu sais d’autres villages, mais une ville peut-elle se trouver à l’est ? Quelle ville de givre pourrait supporter le poids des hommes ?
L’ouest, vers où va l’autoroute, qui vient du sud, en un léger virage. Tu aurais pu, dans le cliché de ton esprit, marquer le contraire pour cette borne ouest : que l’autoroute vienne de l’ouest et fonce vers la lumière du sud, tout enfin clair et chaleureux mais, quand tu la regardes depuis ta chambre à l’étage, sur la pointe des pieds dernière marche d’un escabeau le menton posé sur le rebord du Velux, la perspective donnée par l’orientation de la maison, la courbe de l’autoroute vers celle de l’horizon est autre, c’est comme ça, vers l’ouest, et la nuit il y a le halo des phares jaunes (puis blancs, avec les années et les normes) qui sert de décor au long et continu défilé des phares rouges qui partent. Ruée mécanique vers l’ouest, ruée au bout de laquelle tu ne sais voir qu’une ville : la nuit appelle encore plus que le jour. L’ouest, le soir d’été, le ciel sans nuage, capot métallique bleu-orange au-dessus du désert, ces champs récoltés, quand les voitures, les camions, dans un boucan d’urgence foncent vers l’horizon, le bruit de leur moteur mourant quelque part entre les champs, les arbres, le cuivre bleu du ciel ; ce crépuscule couleur d’un bord de ville, d’une ville toute proche, cachée juste derrière l’horizon, affamée, nourrie de tous ces véhicules aux yeux rouges. L’ouest, le plat terreux, le ciel creux du soir aux reflets de chrome, le goût d’Arizona de tout ça, hérissé des peupliers grands cactus, et des diplodocus agricoles en sommeil.
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