J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

lundi 3 septembre 2018

Répéter


Aucune soirée d’hiver, quand le vent souffle sa froideur et que la neige accumule la toison qui calfeutrera les terres, n’est aussi redoutable que ces jours où les orages aux alentours du quinze août laissent éclater ce qui n’est pas loin de signifier la fin des vacances. Enfant, elle redoutait cette bascule du temps – et le quinze août était la date repère – où se prenait le tournant des derniers jours à vivre dans cet autre monde, celui de l’éternel , ou ce qu’elle prenait comme tel, à vivre sans contrainte, sans horaire et dans ce dehors de campagne qu’elle chérissait. Après les orages, ce seraient les colchiques qui jailliraient dans les prés signant l’arrêt de mort de l’été, le retour vers la ville et la rentrée , mot plein de répugnance. Les journées se faisaient plus fraîches, ou ruisselaient sous des pluies continues, on enfilait un pull, se recroquevillait près de la cheminée, dans la grande maison de pierres, avec le stock de bandes dessinées qui tentaient de faire oublier ce qui était en train d’advenir. Chaque année pendant dix-huit ans, à peu près, elle revivrait ces derniers jours d’août avec un mal être qui ne se guérissait d’aucune façon. Enfant, elle ne savait pas encore , que cela se perpétuerait tout au long de sa vie, et que, si les orages résonnaient à d’autres périodes de l’année, celui du quinze août était annonciateur du rêve de rentrée des classes, puisqu’ elle se trouvait désormais de l’autre côté du bureau à manier la craie blanche sur le tableau. Un rituel involontaire viendrait s’ajouter à l’orage, les colchiques et la fraicheur inévitable: celui du rêve de rentrée où tous les possibles impossibles se déclinent avec perversité. Elle courait après ses élèves disséminés dans les rues de la ville; elle croulait sous le nombre d’enfants qui n’avaient pas tous une chaise et un bureau; des animaux, plutôt du genre félins, se mêlaient aux groupes d’enfants dans la cour de récréation; un incendie éclatait et elle sauvait tous les enfants… Chaque année, pendant trente-sept ans, le rêve de rentrée fera son apparition après le quinze août, donnant un coup de cutter aux derniers jours de vacances. Encore aujourd’hui, alors qu’elle s’est glissée sans problème dans l’habit de la retraitée moderne et dynamique, elle sait que le rêve de rentrée des classes viendra lui chatouiller les neurones, manière de caresser l’oubli.

30 ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 30 ) pour  l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".

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