Aucune
soirée d’hiver, quand le vent souffle sa froideur et que la neige
accumule la toison qui calfeutrera les terres, n’est aussi
redoutable que ces jours où les orages aux alentours du quinze août
laissent éclater ce qui n’est pas loin de signifier la fin des
vacances. Enfant, elle redoutait cette bascule du temps – et le
quinze août était la date repère – où se prenait le tournant
des derniers jours à vivre dans cet autre monde, celui de l’éternel
, ou ce qu’elle prenait comme tel, à vivre sans contrainte, sans
horaire et dans ce dehors de campagne qu’elle chérissait. Après
les orages, ce seraient les colchiques qui jailliraient dans les prés
signant l’arrêt de mort de l’été, le retour vers la ville et
la rentrée , mot plein de
répugnance. Les journées se faisaient plus fraîches, ou
ruisselaient sous des pluies continues, on enfilait un pull, se
recroquevillait près de la cheminée, dans la grande maison de
pierres, avec le stock de bandes dessinées qui tentaient de faire
oublier ce qui était en train d’advenir. Chaque année pendant
dix-huit ans, à peu près, elle revivrait ces derniers jours d’août
avec un mal être qui ne se guérissait d’aucune façon. Enfant,
elle ne savait pas encore , que cela se perpétuerait tout au long de
sa vie, et que, si les orages résonnaient à d’autres périodes de
l’année, celui du quinze août était annonciateur du rêve de
rentrée des classes, puisqu’ elle se trouvait désormais de
l’autre côté du bureau à manier la craie blanche sur le tableau.
Un rituel involontaire viendrait s’ajouter à l’orage, les
colchiques et la fraicheur inévitable: celui du rêve de rentrée
où tous les possibles impossibles se déclinent avec perversité.
Elle courait après ses élèves disséminés dans les rues de la
ville; elle croulait sous le nombre d’enfants qui n’avaient pas
tous une chaise et un bureau; des animaux, plutôt du genre félins,
se mêlaient aux groupes d’enfants dans la cour de récréation; un
incendie éclatait et elle sauvait tous les enfants… Chaque année,
pendant trente-sept ans, le rêve de rentrée fera son apparition
après le quinze août, donnant un coup de cutter aux derniers jours
de vacances. Encore aujourd’hui, alors qu’elle s’est glissée
sans problème dans l’habit de la retraitée moderne et dynamique,
elle sait que le rêve de rentrée des classes viendra lui
chatouiller les neurones, manière de caresser l’oubli.
30 ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 30 ) pour l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".
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