J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 7 septembre 2018

Transactions

Entre fuite et désir de rencontres, entre oubli et envie d’éblouissement, entre instant épousé et passé rejailli, il y a un fil où elle avance en un équilibre précaire, toujours en quête d’un lieu qu’elle nomme vrai, sans trop savoir quel sens cela pourrait bien recouvrir. Elle fuit le centre ville et les grands magasins où tout est désordre de gestes et de sons, elle s’éloigne de tout ce qui n’est qu’enchevêtrement de formes et de couleurs, et se réfugie dans un parc où le ciel a sa place avec toutes ses épaisseurs de bleu, où des arbres fixent la vision et bercent du murmure de leur feuillage, où l’herbe pousse au milieu, comme les idées qui surgissent en plein milieu de rien . Elle marche dans les allées ou sur l’herbe, avec la lenteur de qui pense, en laissant son regard s’abreuver à tout ce qui frémit autour d’elle. Les matins ont ce quelque chose qu’elle nomme délicieux, lorsque la lumière accompagne le pas, et que les voix semblent à peine sorties du silence. Les enfants qui jouent , le font sans la fatigue ou l’agressivité des après midis, ils sont dans cette vie singulière de l’enfance non encore travestie par la lourdeur du jour. Sur la pelouse, cette fillette, cinq ans peut-être, qui s’applique à lancer un ballon en direction de son petit frère, à peine deux ans, avec précision pour qu’il puisse frapper à son tour avec plaisir et lui renvoyer le ballon d’un coup de pied net et franc et la joie des deux enfants à échanger ces passes sans cris, sans colère, le père tout près qui regarde, avec un brin d’émotion peut-être... Cet homme qui court, autour du parc, qui passe à plusieurs reprises avec toujours un sourire lorsqu’il croise quelqu’un, un petit signe de la main ou de la tête, ou qui s’arrête quand il voit un enfant qui vient de tomber… Les jardiniers qui nettoient les massifs, coupent quelques fleurs fanées et discutent avec un vieil homme assis sur un banc et dont ce sera peut-être le seul échange de la journée... Les canards qui barbotent dans l’étang se mettent de la partie pour communiquer avec ce tout petit garçon qui n’en finit pas de leur parler dans son jargon de petit garçon et les volatiles semblent comprendre les secrets qu’il leur livre...Et sur le tourniquet cette petite fille qui ne quittera pas du regard son amoureux du jour… Quelques éclats d’un matin où elle cherche à voir la vie en rose, comme si son passé et ce présent se rejoignaient , une courte parenthèse dans des jours d’indifférence, un rêve éveillé où le champ du possible s’évase et que cessent enfin les outrages et les portes qui claquent. Elle avance dans cet entre-deux, dans cette entrevue silencieuse, ces étendues d’herbes et ces creux d’ombres où se balbutie un peu de son enfance.
 33ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 33 ) pour  l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".

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