Entre chien et loup. C’était son
expression favorite. Il la disait avec envie , avec crainte, respect
peut-être aussi. Ce moment où tout peut basculer, où le jour se
détricote en quelques minutes et rien ne peut interrompre sa fin.
Ce moment où l’on ne peut sans doute rien faire d’autre que
s’accouder à un bar et boire ce qu’il reste de jour, réel ou
irréel, contraint de voir le contour des choses s’effacer, avec
des compagnons d’infortune appuyés eux-aussi à ce zinc, une main
serrée autour d’un verre dont ils ne savent plus de quelle vie il
est empli, et de l’autre, tapoter le comptoir, tentant de
retrouver ce rythme de blues qui les enfoncera davantage dans cette
mélancolie dont ils ne peuvent s’absoudre, en laissant les
échardes écorcher à nouveau leur mémoire. Attendre que cela
passe, même si rien ne passe. Il disait aussi entre
chien et loup, on ne peut mentir ou alors on raconte des
histoires à dormir debout, des fables, des récits fabuleux et
grotesques, ou des errances de voyageur égaré. La mer aurait baigné
cette ville, il se serait tenu des heures devant, à fixer un point
sur l’horizon jusqu’au délire. Mais de mer nulle trace, alors il
fixait le liquide ambré qu’il faisait tanguer dans son verre,
laissant ses pensées voguer au cœur des évocations d’un temps où
il se croyait heureux . Cette ville n’en finissait pas d’abriter
cette litanie de souvenirs
qui se brisaient sur les joues des maisons longées au hasard de ses
errances.
A
l’expression entre chien et loup , elle préfère sa version
italienne qui est plus évocatrice de sa vision du monde , tra il
lusco e il brusco –
entre
le louche et l’obscurci – ce qui, pour elle, est sa propre vision
du monde , même en pleine lumière. Elle crée même sa propre
manière de dire, plus fidèle à ce qu’elle ressent, tra
lo sfumato e l’’oscuro –
entre
le flou et l’obscur – : c’est ainsi qu’elle fixe le
quotidien, qu’elle traverse les jours ou que les jours la
traversent. Dans cette vibration des images que l’œil perçoit, se
mêle une sorte d’ambiguïté ou de paradoxe, qui rend tout
incertain. Comme lorsque l’on fixe ces pierres granuleuses où
l’œil s’égare entre les fractures, les creux, les épaisseurs
et qu’apparaissent des formes, des visages, une sorte de présence.
Elle aime les photographier et laisser se révéler ces apparitions
qui n’attendaient que ce déclic pour se dévoiler et la
laisser
glisser dans un temps qui n’existe pas.
Lorsque
la nuit empoigne
le jour, elle retrouve cette carte d’ intensités.
Ceci est le début d'un texte écrit pour l'atelier d'écriture, animé par François Bon, lors de l'été 2018.
Le livre "Je vous parlerai d'une autre nuit" édité chez Tiers livre éditeur accueille 80 textes d'auteurs différents qui ont participé à cette aventure passionnante forte de 45 propositions d'écriture. Certains de mes textes ont été mis sur ce blog.
La "45" signait la fin de ce périple intense où nous pouvions proposer un texte plus long avec une errance dans la ville enveloppée de nuit.
Il y a un atelier d'hiver, qui est en cours, tout aussi riche!
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