J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 14 août 2019

Le dénouement



Ce matin encore. Je marchais, au hasard, dans cet abandon du corps au paysage qui est le contraire de l’oubli. Plein de cette clarté pareille à la lumière levante. Immobile, pierreux, le plateau fuyait devant. Je me sentais si léger que j’ai marché longtemps. Sans autre pensée que cette légèreté. Il était encore très tôt. Imperceptiblement un vent tiède s’était levé. Je ne m’en suis aperçu que plus tard, au milieu d’un bosquet de pins. Il soufflait, mais en silence. Comme si les branches, les troncs, mon corps lui-même avaient brusquement cessé d’exister. Je me suis arrêté. Fasciné par cette paix mouvante. “Dans les pins silencieux souffle une douce brise.” À ce moment-là, j’ai vu le vers du vieux sage chinois. Vu, oui. Ce qui est la compréhension, totale. La voix muette qui le disait était devenue cet instant suspendu. Les arbres, la lumière, mon corps immobile, tout flottait dans l’immensité silencieuse de ce vent venu de nulle part. J’aurais pu penser “Le vent du monde”, mais je n’étais plus là. Ni les pins, ni le plateau, ni le soleil. Seule cette transparence et l’infini, soudain, qui soufflait. Ce fut très rapide. Mais ce soir cette vision éclaire encore mes mots. Non. Vision ne convient pas, car alors je ne voyais rien. Et, pourtant, tout était regard.

Jacques Ancet "Le dénouement" ( Editions Publie.net)


2 commentaires:

Ange-gabrielle a dit…

C'est exactement ce qu'un bouddhiste appellerai la "vision profonde". Un instant d'Eveil total où tout devient visible, sans la vue. Très beau texte

Estourelle a dit…

capter cet instant est si simple et si difficile