J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

dimanche 7 août 2022

La promenade au phare

 



La maison était abandonnée, désertée. On l’avait laissée comme on laisse sur une dune un coquillage qu’envahissent des grains de sel desséché, depuis que la vie l'a quitté. La longue nuit semblait avoir commencé; les petits airs grignoteurs, murmurés par le vent, les souffles visqueux et tâtonnants paraissaient avoir triomphé. La casserole s’était rouillée et le paillasson était en lambeaux. Des crapauds s’étaient introduits à l’intérieur. Le châle se balançait indolemment et sans but. Un chardon s’insinuait entre les dalles du garde-manger. Les hirondelles nichaient dans le salon ; le plancher était jonché de paille ; le plâtre tombait à pelletées ; des solives apparaissaient toutes nues ; des rats emportaient ceci et cela pour le ronger derrière les boiseries. Des papillons couleur d’écaille jaillis de leur chrysalide passaient leur vie à tambouriner sur les vitres. Des coquelicots étaient semés au milieu de dahlias ; la pelouse disparaissait sous de longues herbes ondoyantes ; des artichauts géants se dressaient au milieu des roses ; un œillet frangé fleurissait au milieu des choux ; cependant que le doux tapotement d’une herbe à la fenêtre était devenu, par les nuits d’hiver, un roulement de tambour produit par les gros arbres et les bruyères épineuses qui, l’été, remplissaient la pièce de verdure.

Virginia Woolf " La promenade au phare" ( traduction de M Lanoire)



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