J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

samedi 8 février 2025

Divagations / 19

 

de mon étrange relation avec Virginia...

Après le travail de traduction, qui nous permettait d'entrevoir les textes d'une toute autre façon, et après ces échanges sur nos questionnements et nos doutes, nous prenions un temps d'écriture individuelle en écho aux passages traduits. Ces fragments que nous écrivions alors, je les avais pompeusement nommés klasmas.

Mais voilà qu'il faut encore prendre un peu d'écart et remonter le temps pour saisir l'enchaînement des avancées et le pourquoi de ces klasmas. L'année qui précédait notre immersion dans Les Vagues, l'année scolaire 2021-2022, notre groupe devait être de sept ou huit à ce moment-là, j'avais engagé un travail d'écriture autour de la notion de paysage intérieur, en évoquant par-dessus tout la notion de détail à mettre en avant. Je souhaitais alors à marquer les esprits en recherchant dans la langue grecque le mot qui correspondrait le mieux à ce que j'avais en tête. Et, à la première séance de la reprise de nos ateliers après les vacances d'été, je leur dis que nous allions travailler à réaliser une klasmathèque ! Succès assuré avec un pareil mot ! Je leur donnais alors les explications suivantes:

klasmathèque : du grec klasma (morceau, fragment) ; mot dérivé de klaô (briser). Rassembler des « morceaux » détachés d’un visuel plus ample. Des petits bouts de choses vues ( dans un premier temps on restera dans la zone visuelle) qui ont saisi le regard, puis se sont trop vite évaporés. Une image mentale qui se sera imprégnée quelques secondes sur la rétine, mais n’aura pu être vraiment capturée.

En premier, on fera une sorte d’inventaire personnel de ces détails, ces fragments (klasmas) presque insignifiants auxquels donner consistance. Puis on écrira pour chacun un fragment. Le petit plus sera d'offrir un cadre à ce klasma. À chacun(e) de définir son cadre, c’est à dire la forme qu’il ou elle souhaite donner et la conserver pour tous les fragments d’écriture qui suivront : nombre de mots, de phrases, de signes/ disposition en carrés en rond, éclatée, la place des blancs sur la page.../ d’autres idées seront les bienvenues ! On va se laisser tâtonner dans un premier temps sur la forme et celle-ci s’imposera sans doute à chacun après quelques tentatives !

Donc laisser émerger ces klasmas : quelque chose de furtif avec quelque chose de dense à l’intérieur

- en lister quelques uns ( la liste se poursuivra chez vous après et n’oubliez pas de les noter lorsqu’ils apparaissent).

- écrire 1 à 3 fragments en commençant de penser à une forme dont ils pourraient se revêtir

- imaginer tous vos fragments qui pourraient ressembler plus tard à des planches-contacts : quelque chose d’un paysage intérieur personnel ! La planche contact permet au tireur d'avoir une vue globale du film et, à l'aide d'une loupe, d'évaluer en détail chaque vue. Elle est utilisée pour sélectionner les vues qui méritent d'être agrandies, et pour estimer le travail à effectuer sur celles-ci (recadrage, masquages, retouches...). Pour lancer ce nouveau chantier d'écriture, je proposais des textes: un de Jérémy Liron ( peintre et écrivain) intitulé Les pas perdus où l'on peut lire: Dans l'espace du regard, quelques centimètres carrés de blanc lumineux. mais qui faisaient comme le crochet auquel on aurait pendu le monde. Et dans Le livre, l'immeuble, le tableau: Chaque jour observer derrière un robinier, un sureau, les façons de quelques angles de béton, ressasser le tableau, essayer des phrases jusqu’à ce qu’elles tiennent ensemble. C’est un peu répéter un passage diagonal, faire sentier. Facilement : écrire c’est faire sentier dans l’épaisseur en friche de nos terrains d’expérience.

Plus tard, grâce à un participant de l'atelier, je découvris que Pascal Quignard avait évoqué le mot klasma dans l’essai Une gêne technique à l’égard des fragments , où il propose une définition du mot « fragment » qui contient, en creux, l’image du lambeau en tant que bout d’étoffe déchirée ou de chair arrachée : « en grec le fragment c’est le klasma, l’apoklasma, l’apospasma, le morceau détaché par fracture, l’extrait, quelque chose d’arraché, de tiré violemment » . Je me suis sentie en bonne compagnie. Ce terme nous accompagne désormais et s'est intégré à nos pratiques d'écriture.

à suivre

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