Elle
se souvient. C’est
peut-être en passant du soleil à l’ombre ou l’inverse quand le
regard ne peut distinguer ce qu’il voit, percé par la lumière,
qu’elle a tourné au coin de cette ruelle pour
échapper à ce froissement des yeux ,
sans penser où elle allait, d’ailleurs elle n’allait nulle part,
elle marchait juste pour le
plaisir d’être là,
sans projet de
visite ou
de photos,
simplement
pour se laisser happer par l’improbable, et elle s’était perdue,
réellement perdue, à ne plus savoir dans quelle direction aller
pour renouer avec les endroits qu’elle connaissait; cela faisait
déjà
deux semaines qu’elle vivait là, et
ce n’était pas son premier séjour. C'est
une corde qui encore me happe, s'enroule autour de mes chevilles et
me traine vers le bleu d'une vie à Venise.
l'eau des canaux détricote l'écheveau des pensées et brode un
canevas où le lyrisme guette. Dans
le quartier du Castello
je marche dans la marge et sur la peau de marbre, j'écris sur les
murs des cloîtres.
Elle
était sortie sans le
plan
salvateur
qu’elle jugeait inutile désormais, elle était juste partie
marcher un peu après
le repas du soir, et toute à ses pensées de
l’exposition découverte l’après-midi,
n’avait pas prêté attention où ses pas l’entrainaient. Jamais
elle n’avait senti cette emprise de la ville comme cela: elle
n’avait aucune idée d’où se trouvait
la riva degli
Schiavoni ou
la direction du
campo San Zanipolo
–
de là elle aurait su
rejoindre
l’appartement –
.
Elle passait de ruelle minuscule en ruelle encore plus étroite sans
parvenir à se repérer avec le ciel et le soleil. C’était
un peu comme si le ciel n’avait
plus de réalité
à cheminer entre ces
murs décrépits qu’elle
s’obstinait à caresser.
On
marche, sans savoir jusqu'où ira le pas, face à quelle faille il
s'arrêtera ni au-dessus de quel abime le vertige enlacera: on
arpente alors à grandes enjambées puis d'une allure plus grave le
triptyque du temps.
La sensation qui l’envahit alors n’était pas de crainte mais de
respect vis-à-vis de cette ville qui reprenait toujours le dessus
sur ces hordes de touristes qui croyaient “avoir fait Venise” en
une journée. Elle prenait son temps, progressait en regardant chaque
mur, chaque porte bien close, chaque
fenêtre avec des volets à demi fermés, puis
chaque pont , chaque
barrière;
elle avait la forte intuition qu’il fallait se laisser faire,
participer à cet envoûtement dirigé de doigt de maître par la
ville elle-même, qui
tentait de lui
faire comprendre qu’elle n’était
rien, que d’autres avant elle avaient essayé de la
posséder,
mais que nul n’y arriverait, même si on était persuadé de bien
connaître la
sinuosité des
calli;
et bien non! Une
ville,
quelle
qu’elle soit,
et particulièrement celle-ci –
un
vrai labyrinthe, on lui l’avait bien dit
–
ne se livre jamais totalement.
Elle allait pénétrer
le silence d’ici et
découvrir
ses bruits intimes. Il
y a l'essence du silence embrassé lorsque , une lumière emplie de
spectres sur les doigts, on dérive entre les parois ocres et
resserrées comme on s'enfoncerait au sein de Brocéliande, la tête
emplie du songe d'être heureux. On se désaltère à l' illusion
d'être maître du monde, on s'enivre en un glissement dans les plis
et replis d'une ville dont on ne cueille que quelques dentelles
d'ombres et on se laisse s'égarer dans cette sorte de murmure où
tout s'enfuit. Elle
parlait dans son for intérieur à Venise, comme on répond à une
amie qui vient de vous confier un secret. Venise
venait de lui dévoiler des traces enchevêtrées sur les murs et au
sol, un autre temps, une réalité écartée, écartelée dans
ses silences.
Elle
marchait ou faisait du sur-place, tant l’attention qu’elle
portait
sur des détails, la forçait à ralentir toujours davantage.
Elle se trouvait dans une
déchirure d’espace et de temps, dans
un état indécis, ambigu, dans l’attente d’une délivrance mais
sans la souhaiter vraiment,
et lorsque, à quelques indices elle sut
enfin où elle était,
elle en eut presque des regrets... En
rentrant , elle posa quelques phrases: un
plain-chant du vague, du diffus, de l'éphémère qui enfle sous
l'ombre d'un capharnaüm de fantômes : un étal de luxe. Il y a
une forme de sérénité à jouer le psalmiste de l'instant, à louer
le silence d'entre les mots, l'évidence de la perte, et le frôlement
d'aile du temps qui passe. Le
dessin qu’elle tenta ensuite
de réaliser pour signifier cette
errance,
tenter
de retrouver ce trouble qui l’avait saisie sous ces épaisseurs
traversées,
ressemblait à une
arabesque
qui s’enroulait sur elle-même,
une spirale et au centre, elle
dessina un œil qui la fixait
...
On
se dit qu'on n'est sûr de rien, que l'écheveau des certitudes n'est
pas celui que l'on dénoue à grandes brassées, puis on se trouve
semblable à l'enfant au matin de Noël, à contempler le rêve
devenu réalité, à recueillir ce silence ponctué du souffle des
cloches, à le glisser entre les pages d'un livre ou d'un carnet où
s'écrit la version intime de qui tente d'être quand
les
barrières du dedans se dérobent.
26 ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 26) pour
l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site
Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".
1 commentaire:
bonjour Laura Solange ! quel beau texte. j'aimerais pouvoir écrire ainsi !
prendre le temps de découvrir Venise, une ville sans se presser pour dénicher tous les détails que les touristes dans leur course ne verront jamais et c'est dommage !
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